Le championnat du monde de parapente de distance s’est déroulé à Chamoux-sur-Gelon en Combe de Savoie en mai dernier. Comme un formidable clin d’œil au berceau de notre discipline, la première et la dernière manche se sont courues à Saint-Hilaire-du-Touvet en Isère ! Pensées émues pour Xavier Murillo, Philippe Nodet et les autres.
Depuis la première édition de Dignes-les-Bains en 1991, les mondiaux n’étaient pas revenus en France et si rarement dans les Alpes… Ces quelques jours ont donc constitué un énorme double challenge : à la fois organisationnel pour l’équipe d’Air Événement et ses partenaires et sportif pour l’équipe de France.
Côté organisation, les Français n’ont pas déçu avec un bel événement conforme aux standards internationaux qui a permis aux pilotes venus des quatre coins du globe d’arpenter la Savoie.
Belle logistique permettant de décoller de pas moins de quatre sites différents : Saint-Hilaire, Montlambert, La Forclaz et Le Semnoz. La base de vie et le goal quotidien à Chamoux-sur-Gelon ont accueilli public et pilotes dans un ambiance joyeuse et festive : animations, concerts, live TV avec caméraman en l’air (Jean-Mi Ara, Antoine Boisselier) et commentateurs, interviews, live tracking, remise des prix, tout était fait pour rendre l’événement unique et mémorable ! La sécurité a aussi été remarquablement gérée par l’équipe de Joël Favre en dépit de conditions difficiles et parfois instables, d’une grosse hétérogénéité de niveau et d’une expérience parfois clairement insuffisante de quelques participants en vol de montagne. Les manches proposées par le directeur d’épreuve Jacques Fournier et son comité de pilotes ont aussi contribué à limiter les incidents tout en maintenant de la sportivité et un minimum d’intérêt et de variété dans les parcours.
L’organisation emmenée par Philippe Roéa et Kirsteen Cleak signe donc un excellent cru dans les Alpes sans tomber dans les travers politico-sportifs traditionnellement afférents à ce genre d’événement internationaux de première catégorie.
Bravo à eux ! Pour l’initiative, pour le travail, pour la patience, et surtout pour le courage qu’il aura fallu tout au long du chemin… Merci, merci et merci aussi à toute l’équipe de bénévoles et de professionnels impliqués. Il y avait des bras partout et l’événement a été remarquable.
Côté sportif, faire honneur à domicile en étant favori n’est pas si évident qu’il n’y paraît. Bien sûr les derniers apports scientifiques en matière de « Home advantage » (avantage à domicile) semblent tous indiquer un gain substantiel pour les équipes qui jouent à la maison mais aucune de ces études ne porte sur le parapente. Pire, il existe malheureusement des contre-exemples fameux comme la terrible performance de nos amis italiens à Feltre en 2017 (6e). Parmi les pièges identifiés, il faut admettre que la connaissance du terrain peut conduire à rater l’essentiel et à se déconnecter de la situation compétitive et induire des réponses stéréotypées. Tenir une équipe de pilotes sous pression et sous la pluie à quelques encablures de leurs domiciles familiaux respectifs ou de leurs amis n’est pas non plus une mince affaire. Un mondial au pays suscite évidemment beaucoup de passion et de crispation à l’intérieur d’une communauté. Celui-ci n’y a pas échappé.
C’est donc dans ce contexte de très forte pression que l’équipe de France s’est réunie mi-mai. Avec un Honorin Hamard toujours partiellement blessé à l’épaule, le docteur de l’équipe (« le B. » Brechignac) lui-même à peine remis de convalescence, quelques changements de matériel improvisés, un nouveau kiné-ostéo en la personne de Léo Blanc, les filles Constance et Méryl à peine sorties de leur DEJEPS et l’arrivée de Pierre Rémy en toute dernière minute (suite à une allocation houleuse et tardive). Incertitudes, pression, ce n’était vraiment pas facile mais après neuf manches disputées, non seulement nous avons gagné mais l’équipe de France de parapente de distance réalise (encore) un sans-faute :
Les résultats ?
- 1re par équipes ;
- Méryl Delferrière et Maxime Pinot en or et champions du monde individuels ;
- Honorin Hamard et Constance Mettetal en argent et vice-champions du monde ;
- Pierre Rémy en bronze – 3e.
Que dire ? C’était impossible de faire mieux, alors ils l’ont fait. Comme aux derniers championnats d’Europe de 2022 en Serbie, cette équipe de France a trusté la totalité des podiums. Rétrospective sur cette performance majuscule et sur nos pilotes hors normes.
Julien Wirtz, Baptiste Lambert et capitaine Luc Armant
Une équipe de parapente, ce ne sont pas que des médaillés mais aussi des copains qui travaillent et se sacrifient pour que les autres aient les résultats ! Imaginez :
- La voile de Luc ne marchait pas très bien, alors c’est Julien Wirtz, pourtant remplaçant et extrêmement déçu de ne pas pouvoir participer qui lui a prêté la sienne pour la compétition.
- Baptiste a spontanément décidé d’abréger une manche pour ouvrir un plané final pour ses coéquipiers lors de la manche 7.
- Baptiste a escorté Constance lors de la manche 8 en mode pas à pas. Attendant, descendant pour offrir les positions de contrôle, motivant sa co-équipière. Ils sont arrivés 3e et 4e ce jour-là ! Constance a repris la seconde place du classement féminin instantanément.
- Assignés à la défense de la troisième place de Pierre, Luc et Baptiste ont maîtrisé la dernière manche sans trembler donnant les bonnes informations et permettant à Pierre de contenir les attaques.
La communication dans l’équipe en vol est une arme redoutable. La façon dont les pilotes font circuler les informations est un gros avantage. Les gars disent ce qu’il se passe sans calcul personnel et pour aider l’équipe. Chacun fait son job pour porter sa part et s’ajuste en cas de besoin. Cet état d’esprit est notre force actuelle. Luc s’est montré très précieux dans son rôle de capitaine. Il est souvent notre ciment et notre raison. On lui doit beaucoup dans la cohésion, la médiation, la modération et jusque dans les décisions.
L’équipe de France de parapente, c’est vraiment l’ensemble de ses pilotes. Les résultats n’auraient jamais été ce qu’ils sont sans Julien, Baptiste et Luc. Bien sûr, il faut aussi parler de nos médaillés individuels.
Pierre Rémy
Il dit volontiers que l’on ne se rappellera que des vainqueurs : « Y’en a qu’une, c’est la une ! ». Cette fois, vu le contexte, nous allons aussi nous rappeler de sa troisième place. Lui qui devait « cirer le banc » (des remplaçants) comme il enrageait et qui s’est retrouvé rappelé en toute dernière semaine pour participer à ce mondial, il n’a pas craqué.
On lui a confié le rôle du pilier d’équipe avec Méryl. Celui qui doit accepter de rentrer dans le groupe tous les jours. Ravaler ses velléités d’attaque pour faire le travail en compagnie de ses « amis suce roues » (comme il en rigole), les tenaces : Aaron Durogati, Joachim Oberhauser, Philipp Haag, Juan Sebastian Ospina…
Un travail acharné, beaucoup de résistance, une volonté de fer en thermique et une discipline militaire dans les choix pour être le plus fiable possible du 1er jour (3e !) au dernier jour (8e !). C’est à la régularité et à la combativité de Pierre que nous devons un podium 100 % tricolore avec une troisième place derrière Maxime et Honorin. Chapeau !
Constance Mettetal
Après avoir été vice-championne d’Europe en Serbie en 2022, puis victorieuse lors de la dernière superfinale de la coupe du monde au Mexique en décembre, nous attendions beaucoup de Constance dans ce mondial. En grande forme, elle a fait sa part de A à Z en étant la seule pilote de l’équipe à ne pas être équipée de la dernière sellette profilée du moment.
Figurant en tête du classement féminin au terme des manches 3 et 4 et terminant au final derrière sa coéquipière, elle a prouvé qu’en l’absence de l’OVNI qu’est Méryl Delferriere il faudrait désormais compter sur elle.
Le plus beau, c’est que l’on parle d’une vice-championne du monde et d’une gagnante de finale de coupe du monde tout en sentant aussi encore une grosse marge de progression possible. C’est sûr, Constance a déjà beaucoup gagné, mais elle n’a pas encore arrêté de progresser. Elle n’est pas encore à fond et personne ne sait jusqu’où son niveau va se stabiliser. Sa force est de tenir au mental et au moral sur des compétitions longues avec beaucoup de manches. Son secret, c’est de ne pas craquer et de moyenner chaque journée les unes après les autres quel que soit le résultat de la veille et les projections du lendemain. Elle prend le dessus sur ses concurrentes à l’usure, petit à petit. En plus, quand on voit la huitième manche qu’elle a faite en résistant derrière Baptiste jusqu’au goal… Ou la dernière en Serbie l’an dernier avec Tim Rochas et Julien Wirtz… On se dit forcément qu’avec à peine plus de vitesse sur les phases accélérées, à peine plus de mordant dans les schémas de suivi, nous assisterons à l’éclosion d’une nouvelle légende du calibre de Seiko et de Méryl.
C’est donc un joli titre de vice-championne du monde qui vient garnir un palmarès qui ne va faire que s’étoffer.
Méryl Delferrière
Méryl est un pilier fondamental de notre équipe. Sa capacité à terminer les manches dans le groupe de tête assure une base de points très qualitative et très fiable à l’équipe. Elle est le socle d’une stratégie qui peut être offensive et décomplexée uniquement parce qu’elle est là et qu’elle assure bien nos arrières si quelque chose se passe mal dans les situations d’attaque. Toutes les nations nous envient une pilote féminine de sa trempe, capable de scorer aussi fort et aussi régulièrement. C’est un vrai nerf de la guerre à l’international et les fédérations multiplient les stages de formation auprès des compétitrices pour copier notre modèle stratégique, assurer les points et faire émerger des talents féminins.
Arrivée sur la course sans avoir spécialement trop la tête à la compétition, en pleine formation pour devenir monitrice et avec une motivation vacillante, Méryl a commencé la compétition avec trois manches très en dessous de son niveau habituel. Il lui fallait se régler, retrouver des repères dans la sellette, de l’envie, de l’agilité dans la grappe et c’est finalement arrivé lors de la manche 4. Spontanément et par elle-même. Les sensations sont revenues, intactes. Le rouleau compresseur s’est mis en place et Méryl a retrouvé le perfectionnisme technique et décisionnel qu’on lui connaît. Elle n’a plus fait d’erreur et a écrasé les manches 4, 5, 6 et 7 (!) en rentrant systématiquement dans le groupe de tête, jouant son rôle à plein pour l’équipe. On attendait une confrontation avec les Américaines ou avec les Suissesses, il n’y a eu aucun match. À partir du moment où elle a retrouvé son vol, aucune concurrente n’a pu suivre. Au point de gagner la compétition avant même le dernier jour avec plus de 250 points d’avance…
Adjugé. Et de deux ! Après son premier titre en Macédoine en 2019, Méryl Delferriere est à nouveau championne du monde de parapente. Je sais que le contexte ne s’y prêtait pas. Que c’était à la fois attendu et tout sauf évident. Alors merci Méryl d’avoir accepté de le (re)faire et de jouer le jeu. J’espère qu’il y en aura d’autres. Ton talent est immense.
Maxime Pinot et Honorin Hamard - Le combat des chefs
Je ne sais pas lequel des deux se sent le plus Nadal / Federer, ou bien Messi / Ronaldo, mais notre sport a aussi le droit à ce genre de rivalité entre génies cette année.
Maxime « pique » généralement une bonne partie de la manche en surfant les avant-postes du groupe de tête. Stratège et sensitif, il s’appuie sur son ressenti et sa compréhension de la masse d’air pour choisir ses moments. Des confluences, des écoulements difficiles, des nuages, des indices. Il excelle quand la situation aérologique devient complexe. Honorin est davantage réputé pour tendre les trajectoires et attaquer les planés difficiles et les opportunités jusqu’au ras du ras du sol s’il le faut. Mental d’acier de rigueur, technique irrésistible dans le thermique faible, la dérive, le plat, il ressort souvent seul ou parvient à s’échapper de situations techniques objectivement compromises. Il trouve le bon thermique au bon moment, y compris dans des endroits où personne ne veut risquer d’aller, parfois dans des endroits où personne ne pense à aller. Deux attaquants, deux styles de feu dans une même équipe.
Pour décerner un titre mondial individuel, il fallait bien qu’à un moment il y ait une explication. Nous avions réussi à tenir les chevaux jusque-là pour le bien de l’équipe, mais à l’aube de la huitième manche, il était clair que ce serait la journée… Max et Hono étaient toujours respectivement 1er et 2e, la discard était favorable à Honorin, mais une nouvelle manche allait s’effacer. Il restait seulement deux jours de compétition.
Briefing : « Allons-y », « Battez-vous », « Carte blanche », « Massacre »…
Nous avons bien essayé d’organiser le combat avec des garanties pour que Pierre et Méryl assurent le goal, mais pour une fois ça n’a pas fonctionné. Sur la fin de manche, un thermique faiblit sur le Grand Arc, il reste quatorze kilomètres de plané en vallée et face au vent avec deux balises de contournement à l’ouest de l’atterrissage de Chamoux. Hono prend sa chance et attaque, trajectoire tendue, on sait que la brise est très forte en bas et que la finesse au goal est encore trop élevée. Max emboîte le pas et l’ensemble du groupe de tête les suit. Tous les « scorers » français sont dans le tas : Max et Hono, mais Pierre et Méryl aussi. L’idée est peut-être de retrouver quelques ascendances sur le pied du Grand Arc dans la direction du plané… Pourquoi pas. Tout le monde sent que c’est compliqué mais personne ne veut lâcher le groupe. C’est l’avant-dernière manche, Hono va traîner la grappe et Max au tapis. C’est l’explication finale. Elle est prévue mais si on pose tous, alors adieu le titre par équipes, il n’y a pas de discard collective. Seize voiles sont au départ de cette transition dont beaucoup de cadors. Évidemment, personne ne trouve de thermique dans l’axe du goal et bien sûr, le plané se passe parfaitement bien au départ. Ça flotte, ça avance. Les pilotes prennent confiance… et le piège se referme.
- « 8,5 de finesse » annoncé.
- « Purée les gars, avec le vent de face qu’il y a, ce n’est pas suffisant ». La radio s’affole.
- « Annoncez les finesses ». « Parlez-vous ». « Pierre, Méryl, la combe de Chamoux semble marcher… On fait le tour ? ».
Tout se tend.
Pierre tente de désamorcer la situation : « On est laaaarge ! ».
Et puis les voiles touchent la brise et sombrent. Elles avancent moins vite. Elles volent plus près du sol, les planés se dégradent complètement. Bas, très bas, super bas. Encore et encore et encore et jusqu’à disparaître derrière la première ligne d’arbres qui coupe l’horizon de l’atterrissage. 30 km/h de brise au bas mot, ce n’est pas le genre d’endroit où tu vas ressortir un missile près du sol. Du sol justement, on ne voit plus rien. Venons-nous juste de tout perdre ? Impossible de le savoir. Le tracking a cinq minutes de différé et on ne doit surtout pas parler en radio pour ne pas risquer de perturber l’oreille des pilotes qui enrouleraient une faible bulle.
Silence de plomb. Dialogue interne :
- « Ça ne passera pas. Ça ne passera pas ! » ;
- « Mais laisse-les faire, ils vont se débrouiller… ».
Quatre premières longues minutes sans visibilité. Anxiété, danse des cent pas, stress et trouille au maximum. Mince, c’est officiel Méryl vient d’envoyer un message, elle est posée… Et Pierre maintenant aussi avec Ospina, Oberhauser et en fait… tout le groupe de tête. C’est un carnage. L’atterrissage se vide, les gens repartent.
- « Là c’est mort, ça fait sûrement déjà au moins sept minutes ». Sentiments extrêmes. Désillusion, abandon, tristesse.
- « C’est vraiment ça…? Après tout, nous allons seulement de nouveau presque gagner ce mondial ! » Mémoire d’Argentine.
Je ne tiens plus et je contiens mes larmes. Sur le point de rentrer tête basse au fourgon quand je distingue à contre jour… une voile.
« Ça va être Hono ! ». Incrédule.
Elle est d’abord si basse que je me dis qu’elle va peut-être bien réussir à passer les arbres mais ne pourra sûrement jamais franchir la ligne finale. Et là immédiatement, une seconde machine qui colle au train, à peine au-dessus.
- « Mais non ! Mon Dieu, ça se pourrait vraiment que… ? ». Je ne vois pas les couleurs.
- « Si on rentrait au moins un gars… ».
Les machines fusent à toute allure et planent à l’infini. Oh et revoilà les couleurs.
- « Ce sont Hono et Max ! ». Ils passent la ligne. Seuls. Hurlements, soulagement, pleurs.
- « Quelle bande de c… ».
Deux seuls survivants. C’est terminé. Ce n’était pas un carnage, c’était juste le massacre annoncé. Le combat des chefs a eu lieu. Personne ne s’attendait à ce que ce soit si violent. Max aura tenu le choc, Hono sera second et nous allons bien gagner ce mondial ! J’ai d’ailleurs fini par découper ma médaille à la scie à métaux pour que chaque pilote ait sa part. Drôle de principe de n’offrir une médaille d’équipe qu’aux quatre pilotes qui rapportent des points et à leur entraîneur…
Par Julien Garcia, coach de l’équipe de France de parapente