Quintessence du parapente pour certains, le vol rando en Himalaya demande des qualités physiques et techniques hors du commun. Seules une grande connaissance des techniques de l’alpinisme, des mécanismes biologiques au-dessus de 5 000 m et la compréhension des phénomènes météorologiques en haute altitude permettent de s’aventurer – le mot aventure n’étant pas ici galvaudé – dans les hautes vallées du Pakistan, où les secours sont quasi inexistants.
Volant très régulièrement dans les massifs du Queyras et des Écrins (où il a réalisé des vols en triangle de plus de 300 km au départ du col de l’Izoard ou du col Agnel), membre de l’équipe de France, adepte de l’alpinisme (son père est guide de haute montagne), deuxième à la X-Alps en 2023, premier dans la catégorie « rookie » (pilote participant pour la première fois) à la X-Alps de 2021, ayant effectué un vol bivouac au Pakistan en 2018 avec Antoine Girard, moniteur de parapente… Damien Lacaze, Pyrénéen d’origine établi dans les Alpes du Sud, a eu la gentillesse de partager avec nous ses derniers vols bivouac au Pakistan. Qu’il en soit remercié.
Pakistan été 2023.
Je suis parti au Pakistan dans le massif du Karakorum en compagnie de mon copain Fabian Buhl avec plein d’objectifs en tête. Le but était de pouvoir s’adapter à toutes les conditions.
Nous voulions bien entendu voler. Les conditions aérologiques du Karakorum sont parmi les plus puissantes au monde avec de très puissantes ascendances qui montent parfois à 8 000 m. Voler à ces altitudes, avec une pression moindre, permet d’avoir des vitesses moyennes bien plus élevées (car plus on est haut, plus les voiles volent vite). Et nous étions persuadés qu’avec une très bonne journée un vol record pouvait être réalisé.
L’autre partie de l’expédition consistait à grimper en mode « combo », c’est-à-dire en accédant aux montagnes en parapente pour se poser au pied de la partie technique. Bivouaquer pour grimper le lendemain, et rentrer en vol. Nous avions plusieurs sommets en tête autour de Karimabad. Ouvrir une voie au Lady Finger (6 000 m), faire le Diran (7 266 m) à la journée à ski, pourquoi pas se poser sous le sommet de l’Ultar Sar (7 388 m) au-dessus de 6 500 m pour faire le sommet le lendemain.
La différence avec les expéditions classiques, c’est que nous séjournions à Karimabad, une petite ville, et non sur un camp de base avancé. Nous avions donc un confort incroyable par rapport aux tentes. Et surtout, nous pouvions choisir chaque jour, en fonction de la météo, les objectifs pour les jours suivants. Vols de distance, acclimatation sur les sommets environnants, tentative d’un des objectifs en alpinisme, ou simplement entraînement en dénivelée, voire même faire du tourisme en louant une moto ou en cherchant des cristaux.
Cela avait le gros avantage de toujours trouver quelque chose d’intéressant à faire. Sans avoir à tuer des heures ou des jours au fond d’une tente.
En revanche, nous étions bien plus dépendants des conditions que des alpinistes classiques. En effet, en plus des conditions de la montagne, nous avions besoin de bonnes conditions aérologiques pour voler et nous poser aux endroits voulus. Ce qui rend encore plus complexe le choix des fenêtres météo favorables. Cette année, la météo a été très dure car humide et ventée. Et nous avons passé de longues heures à scruter les conditions pour chercher des créneaux. Faire et défaire les sacs, changer de plans, de sommet parce que les prévisions se dégradent était notre lot quotidien. Et, à la longue, ça pèse sur le moral et la motivation.
Nous avons commencé par nous acclimater à l'altitude.
C’est le passage obligé de toute personne désirant monter haut. Vivre en ville apporte du confort, de la connexion pour faire la météo. Mais ça complique un peu cette phase. Karimabad est à 2 500 m, ce n’est pas assez pour s’acclimater pour grimper ou voler au-dessus de 6 000 m. Nous étions donc obligés d’aller régulièrement dormir en montagne. Nous montions soit à pied, soit en vol pour nous poser en altitude. D’abord à 4 400 m, puis 5 000 m, puis 5 500 m. La vallée de Hunza regorge de sommets « faciles » jusqu’à 6 500 m où on peut grimper, skier ou se poser pour bivouaquer. C’est vraiment un super terrain de jeu.
Pendant cette phase d’acclimatation, nous prenions souvent les skis. D’abord parce que c’est un gage supplémentaire de sécurité pour assurer le décollage en cas de vent arrière. Mais aussi parce que nous profitions des thermiques pour nous poser, skier un couloir repéré depuis les airs et parfois redécoller pour recommencer. D’autres fois, nous bivouaquions sur un sommet après y avoir posé et le matin on profitait des premiers rayons du soleil pour skier la face est, puis on remontait au sommet où nous avions laissé les sacs, on pliait le bivouac pour décoller et rentrer en vallée. Et souvent, à 10 h du matin, nous étions bien installés devant une omelette et un thé, le rêve quoi !
Les conditions aérologiques n'ont jamais été simples à gérer.
C’était vraiment très orageux tous les jours, avec, dès 15 h, de grosses rafales orageuses, parfois de la pluie, et des chutes de neige en montagne. Nous étions donc forcés de faire des vols assez courts, qui nous ramenaient dans la vallée vers 14 h. Nous n’avons eu qu’une seule journée exploitable complètement, c’est-à-dire sans orage. Ce n’était pas une journée exceptionnelle, les thermiques étaient peu puissants et les plafonds (hauteur maximale des ascendances) assez bas pour la région. Pour ces raisons, nous n’avons jamais cru que ce fameux triangle de 300 km dont nous rêvions était réalisable ce jour-là. Nous avons donc tourné les points du triangle un peu plus court que prévu en pensant juste à faire un repérage en vue d’une meilleure journée. Et malgré ça, au fur et à mesure de la journée, on s’est aperçu qu’il n’allait vraiment pas manquer grand-chose pour faire 300 km. Nous avons fait respectivement 298 km pour Fabi et 295 km pour moi. Cette journée nous a confortés dans l’idée que le potentiel était vraiment énorme, et que si on tombait sur THE DAY, la région pouvait nous offrir des vols supérieurs à 350 km en triangle (ce qui est actuellement le record du monde). La difficulté principale de cette journée était de découvrir complètement le vol. Bien sûr, nous avions bossé sur les cartes. Mais en vrai, c’est toujours différent ; les conditions changent à chaque vallée et il faut sans cesse s’adapter, tenter de comprendre la circulation des flux pour être efficace et ne pas se mettre en danger. Les conditions aérologiques sont aussi bien plus exigeantes que dans les Alpes, et l’engagement dû à l’isolement et à l’interdiction d’avoir un accident rajoutait de la pression. Voler dix heures dans l’inconfort de découvrir un terrain totalement inconnu était quelque chose que nous n’avions plus expérimenté depuis nos débuts en parapente, car nous commençons à bien connaître les vallées alpines qui nous servent d’entraînement. C’est beaucoup plus éprouvant et impressionnant de se forcer à avancer dans ces conditions. Mais c’est aussi rare et exceptionnel, ça reste pour nous un grand moment de parapente et ce vol justifie à lui seul le voyage.
On ne peut pas avoir de la chance tout le temps ! Il y a six ans, quand je suis venu pour la première fois au Pakistan, j’ai eu des conditions de vol exceptionnelles. Et nous avons raté (de peu) le premier vrai combo (au Spantik, 7 027 m) à cause d’une mauvaise acclimatation, mais pas de la météo. Cette année, nous étions en forme, motivés et avec des projets plein la tête, y compris un sommet encore vierge qui nous attend toujours (c’est secret). De plus, avec Fabi, on s’entend vraiment bien, on s’entraîne ensemble, c’était génial de vivre ça avec un copain comme lui. C’est pour ça que c’est un peu rageant de savoir qu’on est tombés sur le pire début d’été depuis plusieurs années, mais c’est la montagne… Ceux qui ont pu attendre 45 jours et ont rongé leur frein (comme Benjamin Védrine, Blutch, Zeb et Liv au K2) ont bénéficié du créneau qui a fini par arriver fin juillet. Mais nous n’avions pas tout ce temps-là. Il faudra revenir.