Du haut de ses 1 465 m le puy de Dôme est, sinon l’acteur, du moins le témoin de l’histoire qui suit. Il a tout vu, il sait tout. Mais j’y étais et avec la mémoire de ceux qui y étaient aussi, avant que le temps ne l’efface, je vais tenter de vous raconter cette histoire, notre Histoire.
D’ailleurs, plutôt qu’à lire une histoire, c’est plutôt à un voyage dans le temps que je vous convie dans les lignes qui suivent.
Alors, aile delta ou voile à caissons, laquelle apparut en premier ?
Les deux concepts ont vu le jour dans les laboratoires de recherche de la NASA des années 50. L’objectif visait à développer une voilure souple, légère et dirigeable, à même de récupérer les capsules Gemini.
En dépit de programmes coûteux et d’essais concluants, le sort en décida autrement. Dès les années 60, quelques pionniers américains puis australiens récupéraient et adaptaient les concepts pour voler dans le plus simple appareil. Le vol ultra léger était né.
L’appel d’air des 30 glorieuses et l’aube de la civilisation des loisirs s’occupaient du reste avec le succès que l’on sait !
Et le puy de Dôme dans tout ça ?
Que ce soit dans l’Histoire de la « grande » ou de la « petite » aviation (ultra légère), sa place est centrale mais presque oubliée. Tentons de réparer cet outrage.
Il faut peut-être commencer par le 19 septembre 1648. Blaise Pascal, sans doute le Clermontois le plus célèbre, fait grimper son beau-frère Florin Périer au sommet du puy de Dôme avec un tube de Torricelli. Il découvre que la pression atmosphérique varie selon l’altitude. Près de 400 ans plus tard, tous nos baromètres et altimètres indiquent encore la pression atmosphérique en hectopascals. Merci Blaise.
100 000 francs, c’est la fabuleuse récompense promise par André et Édouard Michelin au premier aviateur réalisant le vol Paris/sommet du puy de Dôme après avoir contourné la cathédrale de Clermont-Ferrand en moins de six heures. Pure folie en 1908, les appareils de l’époque réalisent au mieux quelques sauts de puce. Il faudra attendre le 7 mars 1911 pour qu’Eugène Renaux et Albert Senouque y posent leur biplan Farman après 5 h 10 de vol et remportent le magot.
Née avec le XXe siècle, la conquête du ciel explose, si l’on peut dire, avec la 1re guerre mondiale. Ainsi, pour les besoins de l’entreprise Michelin qui contribue à l’effort de guerre en fabriquant des avions Bréguet, cette année 1916 voit la construction d’une piste « en dur » dans la plaine de Limagne, à Aulnat près de Clermont-Ferrand. Première mondiale ! 1920, la paix revenue, la piste désertée manque de peu de retourner à l’agriculture. C’est sans compter sur la détermination d’une douzaine de passionnés visionnaires qui fondent l’aéroclub d’Auvergne. L’avenir leur donnera raison.
La Grande guerre a clairement établi que la domination stratégique passait par la maîtrise du ciel. Le traité de Versailles prive alors l’Allemagne d’aviation. Qu’à cela ne tienne, nos cousins Germains se rabattent sur l’aviation… sans moteur. Ainsi, dès 1920 le premier rassemblement de planeurs est organisé à la Wasserkuppe. Des photos tombent sous les yeux de Gilbert Sardier, alors président du tout jeune aéroclub d’Auvergne. La ressemblance entre le massif de la Rhön et la Chaîne des Puys le décide à organiser un évènement similaire. Ce sera le premier congrès international de vol à voile de Combegrasse du 4 au 20 août 1922. À cette époque, on balbutie, le décollage s’effectue tantôt à pied, tantôt à l’élastique sur un patin, en roulant dans la pente… Aucune distinction entre les différentes pratiques. Portés par l’enthousiasme des débuts, les pilotes du vol sans moteur ne forment qu’une seule famille ! À cette occasion, quelques pilotes se hissent au sommet du puy de Dôme pour les premiers vols planés. Sans imaginer sans doute combien suivront, l’aviateur Douchy fait deux tentatives. Le 20 août il atterrit au Pavillon Bleu à Royat en 9’ 2’’, puis le 24 août, nouveau vol de 5’ 50’’, atterrissage à Villars.
Il faut attendre 1963 pour retrouver trace de vol humain ultra léger en Auvergne. Du 1er au 8 septembre le yacht club de Vichy accueille les championnats du monde de ski nautique. Des démonstrations de cerf-volant nautique ont lieu. Dès l’année suivante Guy Laforêt, l’un des membres du yacht club, crée la section « Cerf-volant humain ». Cette discipline est aussi pratiquée sur le lac de Bort-les-Orgues par quelques-uns dont un certain André Bayle, professeur de gym (on ne dit pas encore éducation physique) à Clermont-Ferrand. Les cerfs-volants humains pentagonaux disparaissent bientôt au profit de l’aile Rogallo Ski Wing de Dickenson, plus stable et mieux contrôlable.
Il faut encore attendre une décennie, le 31 octobre 1973, pour voir décoller à nouveau un aéronef du sommet du puy de Dôme. Après avoir traversé la Manche en 2 h 20, tracté derrière un bateau en 1964, décollé du pic du Midi et de l’Alpe d’Huez, Bernard Danis s’élance du décollage sud-ouest du puy de Dôme sous un delta Manta. Il atterrit quelques minutes plus tard à l’ouest du col de Ceyssat, bientôt suivi par son comparse François Guinand. Ancien skieur nautique, cascadeur, showman, Danis joue avec les médias. Il vend photos et films de ses exploits qui alimentent régulièrement les « unes » des journaux. Celle du quotidien régional La Montagne, évoque pêle-mêle le 1er novembre, la Toussaint, une possible relance européenne, le conflit armé au Proche-Orient (de triste actualité) et le conflit social chez Lip… 50 ans après, l’actualité heureuse de cette « une » montre une photo d’un quart de page titrée : « Du sommet du puy de Dôme, l‘homme-oiseau a pris son envol ». L’encart invite à découvrir en pages intérieures l’article qui relate l’exploit. Lors de ses démonstrations B. Danis vend des ailes delta fabriquées dans son garage de Maisons-Alfort. Pour l’occasion, quelques Clermontois se sentent pousser des ailes et repartent avec un delta Manta sur le toit de leur auto.
Ainsi, pendant l’hiver, dans la plus grande ignorance des choses de l’air, mais s’encourageant mutuellement, ils accumulent les sauts de puce, peaufinent leur course d’élan, aiguisent incidence et ligne de vol sur les pentes du plateau de Gergovie, Combegrasse, Récoleine…
Le 1er mai 1974, cinq d’entre eux se sentent prêts pour le « Grand vol », au puy de Dôme. Le vent est à nouveau sud-ouest. Cette fois, André (Toto) Bayle s’élance le premier. Chacun observe, commente et attend que le précédent pilote soit posé pour s’élancer à son tour. Ainsi, André est suivi de Jean-Michel Rauzier et Pierre Janetti. Claude Janetti, fils de Pierre, ferme la marche. Le vent forcit et le porte trop haut vers l’atterrissage. Que faire ? À la surprise générale il entame un tour complet pour s’aligner et poser face à l’ouest en douceur. Premier vol, premier 360, le double exploit est fêté au champagne !
Côté est, le premier champ atteignable en finesse est celui du péage. Le premier pilote qui ose s’aventurer au-delà est Jacques Henri Bayle dit Jo. Il pose à la Taillerie qui sera longtemps appelée « Champ à Jo ».
Sous sa voile de saut, en parachute de pente donc (on ne dit pas encore parapente), le parachutiste clermontois Thierry Sortais signe le premier vol en 1979. Il décolle en est et se pose dans une trouée de la coupe de bois au-dessus du péage. L’illustration de la couverture de l’annuaire des postes du Puy-de-Dôme 1985 fixe cette grande première pour l’éternité.
Sans laisser aucune trace, des parachutistes de Mieussy, de passage au puy de Dôme, y auraient décollé dès 1978. À élucider.
L’enthousiasme des pionniers est contagieux. D’autres, de plus en plus nombreux et de plus en plus loin, viennent voler au puy de Dôme. Position géographique centrale, toutes orientations de vent, rotation rapide par la route gratuite pour les « Hommes oiseaux » ne sont pas les moindres attraits du site. Bientôt, tous les libéristes de l’Hexagone se donnent rendez-vous autour du temple de Mercure. Pour illustrer le décollage foudroyant du vol libre citons les sept clubs que compte le département du Puy-de-Dôme en 1975 : Delta Club des Volcans, Club Européen des Hommes Oiseaux, Delta Club Issoirien, Groupe Région Auvergne Ailes Libres, Association pour le développement des activités sociales de l’INRA de Theix, Association Vol Libre d’Auvergne, Association Sportive de l’AIA. La rançon du succès ne tarde pas. Des titres aguicheurs des journaux, les « Hommes volants » passent directement à la rubrique « Faits divers ». L’accident le plus médiatisé est celui de Patrick Depailler. Le 3 juin 1979, il se fracture grièvement la jambe droite. Une reprise hâtive de son volant de F1 chez Ligier pourrait être la cause de son accident mortel à Hockenheim un an plus tard.
Naissance de la FFVL et de la presse spécialisée
Il est temps de structurer l’activité pour préserver son développement. La réponse vient avec la création de la fédération française de vol libre (FFVL). J.M. Rauzier, avocat à Clermont, est l’un des rédacteurs des statuts. Rue de Sèvres à Paris, la fédération française de vol à voile sert de berceau à la toute jeune FFVL, mais bientôt leurs regards respectifs se détournent l’un de l’autre. Afin d’échapper au carcan administratif qui risquerait d’étouffer l’activité, Philippe Galy, président fondateur de la FFVL se tourne vers la tutelle Jeunesse & Sports plutôt que vers celle du ministère des Transports.
La FFVL organise la première session de monitorat à Chamonix du 28 avril au 3 mai 1975. Cinq moniteurs auvergnats en seront issus : André et Patrick Bayle, le père et le fils, Yannick Carat, Bénédict Nappey, Jean-Michel Rauzier. Se former et éduquer. Dès cette époque reculée il n’y a pas d’autre alternative.
La communication préoccupe aussi constructeurs et fédération. Quelques feuilles ronéotypées servent de vitrine aux constructeurs tandis que la FFVL diffuse son bulletin Ailes Libres, en encart dans la revue d’aviation de loisirs Aviasport. Ailes Libres deviendra Vol Libre puis Ascendances avant de titrer Vol Passion mais une initiative privée se profile bientôt. Le tout jeune diplômé René Coulon se lance dans la vie active en fondant les Éditions Rétine. Il applique l’exact contraire de ce qu’on lui a inculqué à l’école. Il crée un produit sans marché : le numéro 1 de Vol Libre Magazine paraît en février/mars 1976 et coûte 7 F. Seule une poignée de pilotes est susceptible de l’acheter. La première couverture montre un magnifique Dragon en couleurs. Suivent 34 autres pages en noir et blanc, c’est magnifique !
Le numéro 4 de juillet/août est un numéro spécial puy de Dôme. Reportage du premier Trophée international du puy de Dôme qui est également le championnat de France 1976. Trois catégories concourent : standard, hirondelle, grand allongement. La place de Jaude, le cœur battant de la capitale auvergnate, est mobilisée pour la vérification du matériel des concurrents. Quelle vitrine pour le vol libre ! Anglais, Néo-zélandais, Suisses, Allemands, Américains, Belges, Italiens en route pour la compétition de Kössen en Autriche viennent en découdre avec les frenchies qui raflent pourtant tous les podiums. Une présentation des sites du puy de Dôme et un article sur le congrès de Combegrasse complètent ce numéro. Au fil des ans Vol Libre Magazine devient Vol Libre puis Parapente + avant de disparaître en 2023. Le championnat de France d’aile delta revient au puy de Dôme en 1990, 1994, 2005 et plus récemment en 2018…
Le 13 juin 1977, un article du quotidien La Montagne relate le premier vol de distance du puy de Dôme. Sous son Phoenix 6B sponsorisé par les chaussures Kickers, P. Bayle fait un gros plein vertical sur le puy de Dôme et file vent arrière en direction de Clermont. Sa cavale le pose au terrain de foot de Royat. 10 km au compteur, un grand pas pour le vol libre auvergnat ! C’est le 24 avril 1984 que Roland Lacombe devient le premier deltiste à dépasser les 100 km : 104, jusqu’à Tulle. Du coup, il remporte la CFD. L’histoire étant un éternel recommencement, le 17 mars 1990 le parapentiste Éric Lecorché en Falcon 26 pose à Murol : 20,2 km, dépassant les 9 km établis peu avant par Jacques Gibert.
Le puy de Dôme s’illustre aussi en compétition au plus haut niveau. Parmi les douze membres de l’équipe de France championne du monde à Saint-Hilaire-du-Touvet en 1979, trois Clermontois sont sélectionnés : Olivier Demartrin, Patrick Bayle et Bénédict Nappey. Le puy de Dôme, terre de champions.
D’autres coups d’éclat émaillent l’histoire du vol libre puydômois. En 1980 l’alpiniste Jean-Marc Boivin projette un de ses films à Clermont. Le lendemain matin, avec l’aide des forces vives de l’escalade et du vol libre réunis, deux ailes delta Atlas sont hissées au sommet de la Dent de la Rancune. Sans vent, le décollage est chaud, mais J.M. Rauzier et J.M. Boivin rejoignent sans encombre le fond de la vallée de Chaudefour.
En septembre 1985, Haroun Tazieff volcanologue renommé, alors Secrétaire d’État à la prévention des risques technologiques et naturels, fait une visite officielle au sommet du puy de Dôme. Marc Mazataud lui propose de descendre en aile delta biplace. Spontanément, sûr que les médias en feront leurs choux gras, l’homme d’État accepte. Le protocole s’affole mais Haroun Tazieff s’envole sous les yeux incrédules des officiels.
Trois ans plus tard, au péage du puy de Dôme, M. Mazataud à nouveau, crée la première école de parapente d’Auvergne. Il la baptise Vol Can. Évidemment !
1989, au pied du volcan qui a donné son nom au département, le Conseil Général célèbre le bicentenaire de la révolution française. Une longue journée de fête populaire rassemble une immense foule sur la plaine de Laschamps. Toutes les routes d’accès sont monstrueusement embouteillées. Le puy de Dôme est rebaptisé mont Fraternité. Vol libre, montgolfières, ULM, harmonies fanfares du département, feux d’artifices animent la fête. Une réussite !
En septembre 1992 et 1993, la fête envahit à nouveau le puy de Dôme. Cette fois, sur le modèle de la Coupe Icare, la ligue Auvergne de vol libre organise un concours de vols déguisés pour célébrer le vingtième anniversaire du premier vol en aile delta. Récompenses aux meilleurs déguisements, repas festif au restaurant du sommet, projection des films de Christian Gay et folle ambiance jusqu’au bout de la nuit. Vingt ans, c’est le bel âge !
50 ans...
Nous en sommes à présent à cinquante, la force de l’âge. De son temple niché sur le point culminant de la chaîne des Puys, Mercure ou Hermès, dieu aux chevilles ailées, veillera encore longtemps sur les commerçants et les voleurs qui lui rendront visite.
Depuis l’envol des pionniers, au-delà de l’imaginable, deltas et parapentes ont progressé en performances, sécurité et facilité d’usage, mais le plaisir du vol reste intact. Nous sommes la mémoire des pionniers et les descendants de la grande famille des « Hommes volants ». Ce patrimoine commun appartient à tous mais la charge de l’entretenir nous revient. De l’Histoire, comprenons qui nous sommes pour mieux décider de ce que nous voulons devenir. Le puy de Dôme sait tout de nos aventures aériennes mais il n’en dira rien à personne.
Dominique LESTANT
Sources, compléments, photos, liens :
Rogallo wing https://en.wikipedia.org/wiki/Rogallo_wing
http://www.wikidelta.com/un-peu-d-histoire/histoire-du-deltaplane/lhistoire-selon-f-rogallo.html
Barry Palmer https://en.wikipedia.org/wiki/Barry_Hill_Palmer
https://en.wikipedia.org/wiki/John_W._Dickenson
Big blue sky https://www.youtube.com/watch?v=-hRSUjJFmCc
The beginning of hang gliding/Playground in the sky https://www.youtube.com/watch?v=AyPszC_Jqaw
Combegrasse http://www.youtube.com/watch?v=E7lEpeDdvfk
Club nautique de Vichy http://www.clubnautiquedevichy.com/pages/le-club/presentation.html