Introduction
Voilà plusieurs années que nous constatons avec stupéfaction que des pilotes arrivent jusqu’au sol sans tirer leur parachute de secours. Ou lorsqu’il est tiré, et que ça se passe mal, c’est souvent qu’il est trop tard parce que trop bas. Que se passe-t-il dans la tête du pilote ? Fort de ce constat, j’ai souhaité m’informer sur le sujet, explorer, enquêter pour trouver des réponses à la question. Nous possédons quasiment tous un parachute de secours, c’est devenu la norme et tant mieux. Mais posséder un parachute ne suffit pas. Il faut encore le tirer au bon moment.
Pour mener mon enquête, j’ai recueilli des récits lors de débriefings spontanés et interrogé quelques parapentistes qui n’ont pas tiré leur secours mais qui sont toujours vivants. Pour illustrer la compréhension de mes recherches, je vous partage ici deux cas emblématiques.
Découvrons ensemble le premier cas
Le premier est celui d’un pilote qui raconte avoir de longue date imaginé qu’il pourrait un jour avoir besoin de faire secours. Lorsque ce jour est venu, tout s’est déroulé comme prévu.
Alors comment en est-il arrivé à ce résultat ?
En questionnant son action dans cette situation précise, il a mis au jour son processus salvateur. Il raconte : « J’ai toujours pensé qu’un jour ça pourrait mal tourner pendant un vol. Et que cette probabilité serait plus grande en pratiquant le cross et la compétition. J’ai donc pris la résolution de mettre en ordre un plan de bataille.
Tout d’abord je me suis imposé à tous mes vols de m’astreindre à reconnaître si dans toutes les phases je suis plutôt haut ou loin du relief, bas ou près du relief. J’ai donc commencé à verbaliser dans ma tête le constat. Quand je suis haut, je conscientise cette situation et déduis que le danger est faible. Quand je suis bas, c’est l’inverse, j’exprime consciemment que la situation est très dangereuse car je n’aurais pas beaucoup de temps pour évaluer la situation. C’est devenu intégré dans une routine. Proximité égale danger. Ça s’allume comme par automatisme.
Et quand je mesure le danger de proximité, j’enclenche un autre mécanisme. Un mécanisme d’évaluation de la qualité de la masse d’air pour estimer la probabilité d’avoir un incident de vol. Selon, je garde plus ou moins de marges. Comme ça je m’éveille encore plus à la possibilité de faire secours et à aller chercher ma poignée. Je repense à l’emplacement de la poignée. J’imagine aussi le sens de dégagement ou de rotation. En gros j’ai prévu des scénarios pour quand ça se passe mal.
Ce jour-là où j’ai fait secours à 25 m sol, je n’ai pas perdu de temps ! Je cheminais le long d’un relief à 2 400 m d’altitude. Le vent s’était renforcé, il était travers face à mon déplacement et je progressais en appui dynamique, vraiment proche du relief. Quand c’est devenu moins pentu, je me suis écarté du relief pour aller en avant chercher un thermique au-dessus d’une rupture de pente.
C’est là que c’est parti de travers. Fermeture frontale, bras haut pour ne pas qu’elle décroche, je passe devant et elle passe derrière et j’attends qu’elle revienne devant. Je savais que cette voile, lorsqu’elle sortait de sa frontale, faisait une attaque oblique avec un tour de rotation minimum. C’était le tarif en gardant le contrôle. J’avais pu le vivre avant. Mais je ne savais jamais de quel côté elle allait attaquer. Ce jour-là c’était à droite. J’ai donc réévalué immédiatement ma position par rapport au sol et au relief. Je vois que je ne passerai pas la rotation complète sans impacter le relief. Je décide instantanément de tirer mon secours et de le jeter en arrière à droite. Il s’est ouvert immédiatement. Seulement il n’y avait pas le temps de repasser dessous par effet pendulaire. Il est resté à l’horizontale comme pour freiner un dragster et j’ai impacté dans un pierrier.
Ma voile me tirait fortement par l’avant. Elle a touché par le bord d’attaque à l’horizontal en premier. Bilan des courses, bord d’attaque déchiré, mon casque intégral en carbone enfoncé et fissuré et juste une petite coupure à la lèvre supérieure. Le reste tout intact. Beaucoup d’adrénaline ! Avec les années je me suis aperçu que je n’avais pas souffert de trouble du stress post-traumatique car je suis reparti comme si de rien n’était. Cette aventure m’a quand même questionné. Et je me suis dit Ouah, tu aimes la vie ! ».
On enchaine avec le deuxième cas
Le second cas emblématique est celui d’un pilote qui n’a pas tiré le secours suite à un incident de vol. Il est miraculeusement tombé dans un arbre en rotation et il n’a pas eu de blessures.
Il raconte son histoire :
« J’étais parti pour un vol local sans grande prétention. Les conditions ensoleillées mais stables de ce début d’automne n’étaient pas simples pour s’extraire. Les thermiques étaient assez étroits et ne duraient pas longtemps. C’était plutôt des bullettes mal organisées. J’en ai pris plusieurs et je n’arrivais pas à m’extraire vraiment au-dessus du relief. Il y avait pas mal de vent, environ 25 km/h.
J’ai fini par être décalé par un thermique qui ne montait pas beaucoup et c’est probablement là que je suis arrivé dans des turbulences du relief. Toujours est-il que, de retour vers l’avant du relief, en ligne droite et accéléré, j’ai eu une fermeture avec le bout d’aile qui s’est cravaté dans les suspentes. La voile qui s’est rouverte est passée devant comme dans une attaque oblique puis elle a fermé à nouveau. Pas de stress, je sais gérer ! J’étais allé faire un SIV de recyclage il y a quelque temps et j’avais appris à gérer calmement le rétablissement de l’aile. Cette deuxième fermeture était cravatée. Et occupé à démêler, je suis parti alors en rotation. Ça ne tournait pas très vite. J’ai donc décidé de continuer de défaire la cravate. Je me suis donc dit, de toute façon ce n’est pas la première fois que j’ai une cravate, je sais comment faire et ça va marcher. Je regarde ma voile, mets les mains dans les suspentes, et ma voile part à ce moment-là en rotation plus forte. Ça tourne fort et je regarde ma voile. Je fais plusieurs tours et quand je vois que je suis très bas, je me dis que c’est trop tard pour tirer mon parachute et j’arrive dans les arbres. Je n’ai rien eu, merci les arbres ! ».
Analyse de ces situations
Dans l’analyse de ces deux situations où le secours est utile, il est à noter une différence majeure. Non, ce n’est pas le départ de l’incident. Il s’agit de la démarche des pilotes pour traiter le problème. Le premier pilote s’est préparé activement mais pas le second.
Le premier est prêt en amont du vol à devoir faire face à ce type de situation. Il sait conscientiser sa position dans l’espace ainsi qu’évaluer la situation lors de l’incident. Il fait état de savoirs en lien avec la connaissance du comportement de sa voile dans des configurations d’incident de vol. Il mentionne la conscience de la situation avant même l’incident et des réchappes possibles. Ainsi il dévoile toute une stratégie en amont de l’incident qui lui permet de faire face le jour J.
Dans le cas du second pilote, cette conscience n’est pas aussi évidente et probablement peu présente. Le pilote ne l’exprime pas. Il met plutôt en avant une compétence simple et sans contexte acquise en formation de pilote qui ne tient pas compte de l’altitude. L’activité du pilote priorise plutôt une croyance dans un savoir-faire technique qui ne tient pas compte d’une position dans l’espace. À aucun moment il n’exprime qu’il est en relation visuelle avec le sol et son altitude. La préoccupation unique consiste à sortir de l’incident de vol et surtout de sortir la cravate. Puisqu’il sait qu’il est compétent, il l’a déjà fait auparavant et appris en stage SIV.
Nous sommes dans un cas d’apprentissage partiel de la compétence de pilote. Certaines habiletés ne sont pas mobilisées dans l’action, pas présentes ou tout simplement mal conditionnées.
Dans le second cas, l’attention est inopérante avec une conscience de la situation défaillante. L’anticipation n’est pas présente car il n’est plus temps de rouvrir une voile quand on va impacter. Le rapport aux enjeux n’est pas mis dans la balance, je préfère ouvrir ma voile plutôt que sauver ma peau. Alors que faire ?
En conclusion
L’analyse de ces deux vécus laisse entrevoir des perspectives de formation. Le plus tôt possible dans l’apprentissage du pilote il conviendrait de faire apprendre des stratégies actives d’anticipation aux incidents. Apprendre uniquement la technique n’est plus suffisant pour sortir du cercle vicieux des accidents. Changeons cette culture de la technique et du mental, apprenons la pro-action de l’humain dans sa globalité !
J.F. Chapuis
06 62 52 44 82
DESJEPS vol libre, moniteur chez A Travers Ciel contact@atraversciel.com
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