
Interview de Mathilde Chivet : son parcours et son engagement pour les femmes dans le vol libre
Introduction et parcours personnel
Pour commencer, pourrais-tu nous parler un peu de toi et de ton parcours dans le monde du vol libre ?
J’ai découvert le parapente par hasard alors que je faisais ma thèse à l’Institut des Neurosciences de Grenoble. Au labo, je voyais les parapentes à travers la fenêtre, mais je n’avais pas d’attirance particulière pour cette discipline. C’est grâce à mon amie Anouk, en thèse également, que j’ai fait mon premier vol en biplace. Et là, j’ai été immédiatement séduite.
Comment as-tu découvert cette passion et qu’est-ce qui t’a poussée à t’impliquer dans le Comité National Féminin (CNF) ?
J’ai appris à voler en école, mais j’ai surtout pratiqué avec des amis et mon compagnon de l’époque, qui était également parapentiste. Pour continuer à progresser, ils m’ont encouragée à essayer la compétition. À l’issue d’une saison sur le circuit « Sport », j’ai reçu un courriel de Jeff Chapuis, responsable du CNF de l’époque, m’invitant à rejoindre le comité. L’objectif était de créer une communauté de femmes compétitrices, ce qui m’a tout de suite plu. Jeff a depuis laissé sa place à Chloé Demailly et Max Bellemin.

Expérience et implication dans le CNF
Peux-tu nous parler des principaux projets ou initiatives auxquels tu as participé au sein du CNF ?
J’ai rejoint le CNF en 2019, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres compétitrices. Un sous-groupe s’est formé pour organiser les compétitions « Piment d’aile ». Je m’y suis impliquée pendant 3 années. Le CNF est une structure satellite du Plan de Performance Fédéral dédié aux féminines. Il nous aide à planifier notre saison, établir des objectifs, et propose des débriefs et des visio-conférences d’experts (préparation mentale, espaces aériens, etc.). Durant la saison, nous bénéficions de coaching sur certaines compétitions. J’en suis désormais une membre expérimentée et je souhaite transmettre ce que j’ai appris ces dernières années.
Quels sont, selon toi, les principaux défis auxquels le CNF fait face aujourd’hui ?
Le principal défi du CNF est sa mission même : amener davantage de femmes à pratiquer du vol de performance et à atteindre le haut niveau. Actuellement, moins de 10 % des participants en compétition sont des femmes, et plus on monte en niveau, moins elles sont présentes. Il est crucial de montrer que les femmes aussi ont leur place en compétition.
Accès à la compétition pour les femmes
Comment perçois-tu l’évolution de l’accès à la compétition pour les femmes dans le vol libre ?
En parapente, on a peu de licenciées féminines et encore moins de licenciées en compétition. Le CNF nous permet de progresser sur le circuit Français et international, de présenter le DEJEPS parapente, de former des directrices d’épreuve… En montrant que « c’est possible », on casse les clichés et les plafonds de verre. Je suis vraiment contente de voir que des pilotes de mon club, hommes comme femmes, sont inspirés par le fait de voir une féminine atteindre le haut niveau. Si je peux servir de « modèle », surtout pour les femmes qui doutent, alors j’en suis ravie. Cela montre que ce sport est accessible, même pour celles qui commencent plus tard.
Quels sont les principaux obstacles que tu as identifiés pour les femmes souhaitant entrer en compétition ?
Je pense qu’il y en a deux principaux. Le premier est d’ordre sociétal : les femmes sont souvent éduquées à être plus prudentes et à éviter les sports à risque. Souvent en charge du foyer, la maternité a bien plus d’impact sur la pratique du parapente que la paternité. Le parapente est donc un milieu majoritairement masculin, où l’on peut être confronté à des problèmes de sexisme et/ou de paternalisme, ce qui crée un « plafond de verre mental ». Cependant, la société évolue et une nouvelle génération de femmes est en train de briser ces barrières. Le second obstacle est d’ordre technique : les femmes, étant souvent plus légères, doivent prendre du lest, ce qui peut être intimidant, dangereux et décourageant pour certaines.
As-tu constaté des changements significatifs ces dernières années en termes d’accès et d’inclusion ?
Oui, il y a eu des initiatives marquantes organisées entièrement par des femmes, qui ont eu un impact sur la scène de la compétition. Les mentalités changent : les femmes ne se fixent plus seulement des objectifs féminins, mais visent aussi le classement général. L’idéal serait de maintenir un classement féminin le temps que nous gagnions en visibilité, mais le but ultime serait d’avoir un classement général unique.
Quel rôle jouent les fédérations, les clubs, et les pratiquantes dans l’amélioration de l’accès à la compétition pour les femmes ?
Le CNF, qui dépend de la Fédération, et plus particulièrement de sa Commission Féminine, est un des leviers. Les antennes régionales de cette dernière (à travers les ligues) proposent des stages, des formations et des événements qui permettent de se rencontrer et de créer des liens. Cela stimule la passion et la motivation. Personnellement, je dois beaucoup au CNF. Je l’ai rejoint en tant qu’apprentie compétitrice et je suis désormais dans le top 20 mondial. J’aime maintenant partager mon expérience avec les nouvelles recrues, pour échanger et transmettre ce que j’ai appris. Les clubs ont aussi un rôle à jouer. Au sein du club Saint Hil’Air, nous organisons durant l’hiver des soirées à thèmes, l’an dernier j’en ai proposé une sur le thème de la préparation hivernale ; cette année, j’ai animé une soirée sur le matos, etc. Les féminines ont besoin de visibilité et de légitimité. C’est un travail de longue haleine mais c’est un beau défi à relever.
Le plus grand accomplissement
Quel est le plus grand accomplissement ou moment dont tu es fière dans ce sport ?
Je suis fière de ma deuxième place sur un podium général lors de la compétition Sport du mont Bouquet en 2022 car symboliquement, c’est une image forte de voir une pilote féminine sur un podium Overall. Plus récemment, en juillet dernier, j’ai participé à une compétition internationale où nous étions en auto-coaching avec le CNF. Au sein d’un petit groupe de 5 féminines, nous avons préparé ensemble les manches puis nous les débriefions le lendemain. Nous avons pu partager nos routines, nos habitudes et notre expérience, et nous soutenir mutuellement. C’est au sein de ce petit groupe que j’ai ressenti que j’avais de l’expérience à transmettre. Trois d’entre nous sommes montées sur le podium, c’était chouette de partager ma victoire avec mes « collègues » du CNF.
Objectifs futurs et message d’inspiration
Quels sont tes objectifs futurs au sein du CNF ou dans la promotion de l’accès à la compétition pour les femmes ?
Je suis toujours membre du CNF, je suis également devenue présidente de mon club. Mon objectif principal est d’encourager plus de femmes à débuter et à persévérer dans ce sport. Je souhaite que les femmes gagnent en confiance et j’aimerais devenir, ou rester, une ambassadrice de ce sport pour les filles qui arrivent dans l’activité.
Quels conseils donnerais-tu aux jeunes filles ou aux femmes qui hésitent à se lancer dans ce sport ?
Je leur dirais de se lancer en s’inscrivant en stage init’ et ensuite de se faire accompagner dans leur progression. Je crois qu’il faut changer notre manière de formuler les choses, ne pas dire « oh moi je ne le ferai jamais » mais plutôt « je ne l’ai pas encore fait ». Je n’aurais jamais imaginé une seule seconde devenir pilote de coupe du monde et pourtant !
Y a-t-il un message que tu souhaiterais transmettre aux lecteurs de Vol Passion sur l’importance de l’inclusion et de l’égalité dans le vol libre ?
Les choses évoluent dans le bon sens, et c’est très encourageant. Nous avons tous à gagner avec plus de bienveillance, de communication et d’écoute, quels que soient notre genre, notre parcours et notre niveau de compétence. Le vol libre, dans sa simplicité, est précieux. Voler en toute sérénité, cela n’a pas de prix.
