Tout commence par un message sur le fil du club : « Incroyable ! Un parapentiste est disparu depuis plus de six jours dans le Queyras, il s’agirait d’Olivier ». Un coup de fil à son épouse me le confirme.
Olivier, mon pote depuis mon arrivée à Lyon ; nos séjours en Andalousie, nos pleines rigolades et nos engueulades aussi quand il partait trop loin et nous demandait de venir le récupérer. Olivier, parapentiste hors pair, « ceinture et bretelles » sur la sécurité.
Avec mon frère Thierry, nous décidons de partir pour le Queyras. Nous y rejoignons une équipe d’amis d’Olivier qui depuis plus de huit jours arpentent toutes les vallées de la région et se retrouvent le soir autour d’une carte. Une équipe s’occupe de la logistique. Avant de partir chacun prend un sandwich, une part de fromage et une bouteille d’eau.
Les repas sont alternativement joyeux et tristes. À la fois pleins d’espoir de retrouver Olivier et pleins d’angoisse sur son sort. Olivier est-il encore vivant ? Est-il suspendu à un arbre ? A-t-il encore de l’eau, nous sommes en pleine canicule en cette fin août.
Le plan Sater a été déclenché le lendemain de sa disparition par le préfet. Cinq hélicoptères ont survolé la région pendant deux jours sans relâche sans repérer la voile jaune que chacun espère voir. L’équipe reste en contact avec la CRS Alpes pour lui communiquer le résultat de ses recherches. Chaque tache suspecte fait l’objet d’une analyse de la CRS qui décide d’envoyer ou non un hélicoptère. Nous sommes en pleine saison touristique et celui-ci est constamment mobilisé sur d’autres tâches.
En plus de piloter les opérations, la famille est accaparée par de multiples démarches. Tout le monde se met à son service et à son écoute. Le soir les discussions vont bon train. Connaissant Olivier, a-t-il pris l’option de faire un très grand vol vers le sud ? Pourquoi à un moment, perd-t-on sa trace GPS envoyée sur son portable ? Nous reviendrons sur cette question dans l’analyse de cet événement.
Après onze jours de recherches, la famille épuisée demande à l’ensemble des participants de cesser les recherches. Nous nous quittons, riches de nouvelles amitiés et désespérés de cet échec. Les CRS pensent que le corps d’Olivier sera retrouvé un jour, peut-être après l’hiver, par un chasseur ou un promeneur.
Mais au retour, un rebondissement fuse sur le fil WhatsApp commun. En regardant l’ordinateur d’Olivier, un de ses fils voit défiler la trace complète de son vol. Car Olivier avait une balise Capturs !
Olivier est là, dans un vallon à quelques kilomètres de son point de départ. Avec l’accord du procureur, la société Capturs nous communique les altitudes, ce qui permet de reconstituer le vol. Pas de grand vol vers le sud, mais un très beau vol circulaire de 5 h 30 avec un retour au domicile pour le repas du soir.
La météo se dégradant, il faudra attendre quelques jours pour qu’un hélicoptère de la CRS Alpes puisse décoller et aperçoive la voile et que son équipage récupère le corps d’Olivier. Celui-ci s’était équipé d’une antenne pour repérer la balise toujours opérationnelle, mais le dernier point était très précis.
Un petit groupe de parapentistes essaye d’analyser l’accident. Le signal de la balise Capturs est présent jusqu’à son impact au sol ce qui donne une bonne idée de la dynamique de vol. Olivier vole à plus de 900 mètres d’altitude sol quand, brutalement il chute verticalement à une vitesse d’environ 10 m/s. Les sauveteurs le retrouveront bien sanglé dans sa sellette, la voile accrochée et la poignée du secours ventral non tirée. L’hypothèse d’un incident de vol avec fermeture plus auto-rotation ou chute dans la voile est donc la plus plausible.
Nous nous retrouvons début septembre à la cathédrale d’Aix-en-Provence pour un dernier adieu en Provence avec dans la tête la chanson « Il est libre Max, y’en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler ».
Quittons ce tragique et douloureux événement et essayons d'en tirer les enseignements.
Le parapente a considérablement évolué ces dix dernières années. Il s’est diffusé à une plus grande population de tous milieux et de tous âges. Par ailleurs, les distances de vol se sont considérablement allongées du fait de la performance des voiles et un grand engouement pour la pratique du cross. Ces deux éléments doivent inciter la communauté du parapente (FFVL, constructeurs, enseignants) à reconsidérer certaines questions de sécurité.
Passons sur les commentaires indélicatement proférés : « Cela ne devrait pas arriver si les parapentistes étaient des parapentistes responsables », Olivier passait près d’une heure à analyser la météo avant chaque vol.
La pratique du parapente est de plus en plus solitaire ; l’échange avec les autres parapentistes se limite souvent à un partage de son vol sur les réseaux sociaux et l’inscription de sa trace sur la Coupe fédérale de distance (CFD).
La grande discussion du moment réside dans la performance des dispositifs de géolocalisation et la recherche du mouton à cinq pattes alors qu’en analysant les accidents récents de ce type, on constate qu’il suffisait que quelqu’un jette de temps en temps un coup d’œil sur la trace du parapentiste disparu. De fait tous les dispositifs actuels sont identiques : GPS connecté sur un réseau GSM ou LoRaWan qui retransmet les coordonnées sur un serveur.
Une réflexion doit donc s’engager sur la sécurisation de ces longs vols qui peuvent se dérouler au-dessus de terrains hostiles et isolés. Nos parapentistes ont besoin « d’anges gardiens ».
Ces anges gardiens doivent avoir accès à la position de leurs protégés et il existe nombre de dispositifs de géolocalisation. Du plus simple (un téléphone portable avec un renvoi sur une messagerie) au plus complexe (une balise satellitaire avec un dispositif d’alerte).
Diffuser une recommandation sur l’utilisation d’un dispositif de géolocalisation avec l’attention d’un tiers pendant le vol m’apparaît une action prioritaire de notre fédération pour la saison prochaine.
Promouvant une coupe de distance, celle-ci doit être attentive aux questions de sécurité des pratiquants qu’elle engage, d’autant que les dispositifs existent et sont peu coûteux.
Mais retrouver un parapentiste isolé, c’est bien. Le retrouver vivant c’est mieux !
Olivier est probablement décédé sur le coup et le délai de secours n’aurait alors pas changé le pronostic. Mais s’il avait touché le sol moins brutalement ?
Olivier était un excellent parapentiste et volait sur une voile qualifiée de B+. Discutant fréquemment avec des constructeurs, il est maintenant communément admis que l’augmentation de performance des nouvelles voiles s’accompagne d’un comportement général plus sûr. La maniabilité, en particulier au décollage, est nettement meilleure.
Pour autant, cette amélioration et cette impression de facilité s’accompagnent de nouveaux risques. Si les incidents de vol deviennent plus rares, ceux-ci sont plus brutaux et inattendus quand ils surviennent. Même pour un parapentiste aguerri, l’échappatoire raisonnable réside dans l’utilisation du parachute de secours.
M’intéressant depuis plusieurs années à ces questions, jamais je ne pouvais m’imaginer qu’un de mes meilleurs amis serait la victime d’un tel accident. En 900 mètres de chute, Olivier n’a pas pu ouvrir son parachute de secours !
Les chutes mortelles sans utilisation du parachute de secours sont maintenant bien documentées et, manifestement, l’adage « Un tour, c’est secours », ô combien pertinent, n’est plus suffisant.
La première alerte est venue d’un chercheur britannique. En analysant avec une caméra le tirage de secours sur tyrolienne ou sous G-Force, celui-ci a démontré que bon nombre de parapentistes, pourtant entraînés, n’arrivent pas à tirer leur poignée efficacement. Ces études n’ont pas rencontré un grand écho dans la communauté du parapente.
Depuis, à la suite d’accidents mortels en milieu encadré, on dispose de vidéos montrant clairement les difficultés de parapentistes à atteindre la poignée de secours.
Mais chaque fois qu’un tel accident survient, l’explication miracle est avancée : le fameux voile noir, voire la syncope immédiate, alors que toutes les études montrent que le cerveau a une capacité d’une dizaine de secondes pour lutter contre l’hypoxie due à la force centrifuge.
La sidération reste une explication plus plausible et porteuse de solutions car toutes les études montrent que, pour contrer cette dernière, il faut anticiper la situation et mettre sous les yeux de la personne une consigne ou une action claire et simple.
La clé réside bien dans un accès rapide à une poignée de secours. Or, force est de reconnaître que la situation a peu évolué ces dernières années, voire régressé par la recherche du design des sellettes.
Envisager des actions sur le parachute de secours
Pendant plusieurs années j’ai réfléchi et élaboré un dispositif d’éjection de parachute de secours avec deux objectifs :
- rapprocher la poignée près de la poitrine, visible par le parapentiste à tout moment ;
- assurer une éjection normalisée dans le plan horizontal.
À ce jour, la communauté du parapente, hormis un prix d’innovation à la Coupe Icare, n’a pas manifesté un grand intérêt pour un tel dispositif. Comme si le monde de l’automobile avait boudé la ceinture de sécurité puis l’airbag. J’ai aujourd’hui abandonné ce projet que je ne peux plus porter seul.
Aujourd’hui, je reste persuadé que ce dispositif aurait donné une très grande chance supplémentaire à Olivier qui peut-être, certes seulement peut-être, serait aujourd’hui parmi nous.
Cet accident me fait aussi surgir d'autres idées...
- J’imagine une task-force déclenchée par la FFVL en lien avec les ligues pour soutenir les amis et familles dans leurs recherches. Soutien moral bien sûr, mais aussi soutien méthodologique en apportant sa connaissance sur les zones piégeuses potentielles (là où Olivier est tombé, c’en était une…), apport de compétence cartographique, de communication avec les services de secours…
- Je rêve aussi d’un ou deux plateaux techniques mobilisant une tyrolienne aussi sophistiquée que celle développée par le club de Cluny ou le retour d’un G-Force en France.
- La tyrolienne STIVAIR simule, par surprise, le décrochage d’une demi-aile obligeant le parapentiste à un contre et à jeter son parachute.
- Le G-Force, proposé un temps par le regretté Pierre Naville, vous satellise à 4G et vous fait prendre conscience des actions à entreprendre dans cette situation et ses limites. Le G-Force est maintenant installé dans un parc d’attraction et une rotation est proposée à… 7 euros. La France, grand pays du parapente ne possède pas un tel outil. Et l’histoire se répète un peu car, d’après mes informations, Pierre est décédé sur le même type d’accident qu’Olivier.
Et demain...
Nous avons tenu notre premier congrès sur la sécurité en ce mois de novembre 2023. Un premier pas et une belle prise de conscience. Comme dans le domaine de l’automobile des années 70, il est temps de passer la vitesse supérieure et de mettre la sécurité au cœur de notre activité en osant évaluer nos actions ces dix dernières années. Cela nous concerne tous : fédération, pratiquants, enseignants, constructeurs et responsables de médias.
Jean-Philippe Gallat
Membre du Comité directeur de la FFVL