Voilà dix ans qu’à CQ Parapente on se passionne pour les questions de sécurité en vol libre.
Dix ans qu’on analyse des données, qu’on anime des ateliers, qu’on donne des conférences… un peu partout en France. Ce qui est très étonnant, c‘est que si vous demandez à un pilote de parapente pourquoi il y a tant d’accidents, il aura toujours une réponse :
· c’est la faute des pilotes qui vieillissent et qui n’ont plus les réflexes ;
· non, ce sont les jeunes inconscients qui se sentent immortels ;
· ce sont les urbains qui n’ont pas la culture des activités outdoor ;
· non, ce sont les montagnards avec leur culture de l’engagement et leur rapport à la mort ;
· ce sont ceux qui ne font pas SIV, qui ne s’entraînent pas ;
· non, ce sont ceux qui font des SIV et ça les met en sur-confiance ;
· etc.
Bref, tout le monde sait pourquoi il y a des accidents en parapente, mais personne n’est vraiment d’accord sur la cause principale.
Il y a une raison, rarement citée, à l’origine de toutes les autres. Une sorte de « péché originel » qui vient nous foutre dedans durablement, solidement. Pour la découvrir, passez du temps sur un forum de parapente, promenez-vous sur un décollage, buvez des bières au bar de l’atterro… et tendez l’oreille !
Est-ce que vous entendez le puissant chant des sirènes dans la communauté du vol libre ? Les sirènes chantent 24 h sur 24 h la même chanson :
· regarde, stagiaire en initiation comme c’est FACILE, il y a trois jours tu n’avais jamais ouvert un parapente et tu voles déjà SEUL sous ta voile !
· regarde, pilote un peu radin, tu n’as pas fait réviser ta voile depuis trois ans, mais elle vole quand même !
· regarde, pilote fainéant, tu ne regardes jamais la météo, mais tu ne t’es pas fait aspirer par un cunimb pour autant !
· ok, tu décolles comme une quiche, tu ne fais pas de gonflage, mais tu décolles quand même et tu fais de beaux vols ;
· etc.
Les sirènes puisent leur force dans deux choses...
1. La facilité.
Facilité… qui est réelle au début, mais au fur et à mesure de la progression, la complexité augmente considérablement.
Tant que vous faisiez des ploufs en aérologie calme, il ne pouvait pas vous arriver grand-chose.
Maintenant que vous vous déplacez plusieurs heures dans une masse d’air active, c’est une toute autre limonade. L’incertitude et l’exposition augmentent de façon exponentielle. Elles augmentent BEAUCOUP plus vite que les compétences, techniques et non techniques, de la plupart des pilotes.
2. La « pardonnabilité »
Le mot n’existe pas, mais vous voyez ce que je veux dire. Si vous faites mal quelque chose, la plupart du temps, c’est sans conséquence… cela pardonne ! Jusqu’au jour où, à force d’accumuler les erreurs, cela ne pardonne plus.
Cela ne pardonne plus, mais cela n’empêchera pas les sirènes de chanter : accessibilité et pardonnabilité.
Ce n’est la faute de personne, il n’y a pas un grand complot pour nous induire en erreur ! C’est intrinsèque à l’activité. Accessibilité et pardonnabilité, c’est ça et RIEN D’AUTRE qui nous fout dedans.
Si vous êtes un pilote expérimenté, vous savez bien tout cela. Nous les moniteurs, nous les cadres associatifs, nous les vieux pilotes, c’est à nous :
- de chanter plus fort que les sirènes ;
- d’aider les néo-pratiquants à ne pas se faire piéger ;
- de les accompagner pour qu’ils prennent au sérieux l’activité.
Pour qu’ils la prennent pour ce qu’elle est vraiment :
- une activité riche, addictive, éducative, mais exigeante et complexe ;
- une activité qui nécessite de se former sans cesse, de se remettre en cause, d’être rigoureux ;
Une activité qui nécessite de soigner les RELATIONS :
- relation avec son environnement, compréhension de la masse d’air ;
- relation avec son matos, faire les bons choix, être rigoureux sur l’entretien, sur l’ergonomie ;
- relation avec les parapotes, faut de l’ouverture, du partage, du retour d’expérience ;
- et surtout relation avec SOI-MÊME : comprendre SES motivations PROPRES pour voler.
Tout ça demande du temps, de l’énergie, du jus de cerveau.
Mais à la fin quelle récompense ! C’est le rêve d’Icare en minimisant le risque de chute à la fin. C’est pas si mal, non ?
Jean-Marc GALAN, président de l’ODVL CQ parapent