Une autre voie quand il est encore temps.
Ils sont quatre et ont braqué sur eux en quelques heures les projecteurs des médias américains. Hier inconnus du public, ils sont aujourd’hui sur les écrans des chaînes d’information aux USA. Peut-être les avez-vous aperçus ou entendu leurs témoignages qui ont dépassé les frontières du continent américain. Ces quatre-là ont décidé de ne plus tourner la tête et de raconter leur quotidien d’employés du mastodonte de l’aéronautique Boeing.
Devenus ce que les médias appellent des lanceurs d’alerte, ils ont expliqué et décortiqué leur quotidien devant une commission nationale dédiée à la sécurité du transport aérien et les choix faits par le constructeur d’avions, des choix en l’occurrence motivés par un souhait majeur d’amélioration des profits en relayant la sécurité au rang d’accessoire. Entre les arrangements sur les procédures réglementaires, la raréfaction des procédures qualité (vérification de la bonne réalisation de la fabrication), les choix expéditifs de modifier rapidement l’existant plutôt que de recréer de zéro, les auto-vérifications devenues la règle et une bonne dose de déni, tout fut bon pour aller au plus juste.
Seulement voilà, l’aérien est rebelle et la facture inexorable. Le déni d’un temps s’est transformé en catastrophe du présent. Crashs aériens, perte de contrôle des avions en vol, interdiction de vol pour certains modèles, perte d’une porte ou de morceaux de carlingue en vol et surtout perte de confiance des clients, perte de la réputation d’entreprise phare. Quant au cours de la bourse…
Qu'est-ce que le SGS ?
Je suis libériste et vole avec une machine en tissu. Je n’en suis pas moins un homme volant ! Pour moi-même, je n’ai aucunement envie de me mettre en danger dans ma pratique de loisir. Pour les professionnels de l’activité susceptibles d’emmener ma fille en biplace ou de former mon neveu en école, il serait inadmissible qu’il leur arrive quelque chose. Pour moi comme pour le passager d’un Boeing, pas de place au tragique. Je le sais pourtant, il y a des accidents. Dans notre conscience collective rode le déni. Tourner la tête ou essayer pour voir est finalement accepté.
Dans les activités à haute exposition, les entreprises ont ajouté des SGS (systèmes de gestion de la sécurité) aux systèmes qualité existants. La sécurité est trop précieuse pour être abandonnée à un PDG trop concentré sur le cours de l’action ou les futurs bénéfices. Elle est affaire de spécialistes toujours en mouvement pour avoir un coup d’avance sur la prochaine situation d’accident. Dans un SGS, la sécurité est confiée à une équipe multidisciplinaire qui recherche transversalement toutes les compétences pour aborder tous les sujets. Ne jamais tourner la tête au risque de le payer cher car il suffit d’une fois.
Remettre en cause l’existant en permanence pour en garder le bon et faire les sauts de performance nécessaires sans état d’âme. Le combat est rude, jamais gagné. Les résistances peuvent être fortes pour accueillir les modifications. Le déni repointe pour sa chansonnette « À quoi bon ? ». Et pourtant, qui supporte une vie brisée par un accident majeur, une famille déchirée par la perte d’un de ses parents venu découvrir le vol libre, une incapacité à pouvoir reprendre un travail suite à une réduction de mobilité ?
Adapté au monde associatif, le SGS nous enjoint de repenser notre organisation pour travailler ensemble, mutualiser nos compétences et expériences, nous remettre en question perpétuellement pour être toujours pro actifs, c’est-à-dire avoir trouvé la parade au problème avant même qu’il n’ait eu le temps de faire un dégât.
Tout ceci nécessite de refonder notre organisation, faire de la sécurité une priorité, abandonner les décisions individuelles (le PDG d’Air France a délégué les décisions liées à la sécurité et la formation au dirigeant responsable désigné à la tête du SGS ; le PDG d’EDF n’a pas la décision de l’allumage des centrales nucléaires qui sont dans les mains de leurs pilotes, eux-mêmes contrôlés par une autorité indépendante). Pour chacun d’entre nous pilotes, la voie de la prise en compte de nos facteurs humains qui conditionnent tant nos actions est la voie indispensable et partout empruntée dans les disciplines aériennes. Ayons le courage de nous intéresser aux propositions fleurissant déjà en ce sens.
Ne tournons plus la tête et soyons proactifs, que nous soyons pilote, club, OBL, école, CD, responsable de projets… Nos disciplines de vol libre ne peuvent plus s’autoriser les 15 morts et 300 blessés majeurs annuels quand une autre voie est possible. Les dirigeants futurs devront à ce titre montrer le chemin. Longue vie au SGS !
Bien évidemment, nous devrons trouver la voie à suivre pour mettre en place une gestion de la sécurité adaptée à notre fédération, et au service des licenciés.
Jean-Louis Debiée